Le Premier ministre et la ministre du Travail, qui souhaitent fusionner les instances représentatives du personnel, sont allés mardi 13 juin discuter du dialogue social avec les représentants du personnel et la direction d'un équipementier automobile, Telma, dans le Val d'Oise. Surprise, surprise...
Cela ne s'invente pas : pour leur première visite de terrain sur le thème du dialogue social, Edouard Philippe et Muriel Pénicaud ont choisi "le leader mondial du freinage sans friction". L'entreprise Telma (52 millions d'euros de chiffre d'affaires) est un équipementier automobile qui se trouve à une heure de Paris, dans le Val d'Oise, à Saint-Ouen l'Aumône, au coeur d'une zone d'activité bien remplie. Sa devise respire l'impératif de la politique qualité : "Bien n'est pas suffisant". Les 115 salariés du site de Saint-Ouen (le groupe emploie 250 personnes en comptant le site chinois et avant, bientôt, la création d'un site en Inde) fabriquent des freins à induction électromagnétique, un procédé que l'entreprise présente comme plus écologique que le freinage traditionnel, car réduisant les risques de particules résultant de la friction.
Du point de vue de "l'esprit de conquête" internationale cher au président Macron, on comprend pourquoi le Premier ministre et la ministre du Travail ont choisi cette entreprise alliant technologie et métallurgie pour une visite avant le second tour des législatives. Car la PME revient de loin. Elle a fait partie du groupe Labinal avant d'être vendue à Valeo, qui l'a lui-même cédée en 2010 à des investisseurs chinois associés à une partie des cadres français. "La confiance avec l'actuel DG s'est construite lentement", témoigne Maurice Fauchadour, délégué syndical CFE-CGC et secrétaire de la délégation unique du personnel, qui regroupe ici seulement les délégués du personnel et le CE. "On a traversé un PSE en 2009 et on a pu trouver ensemble des solutions", renchérit le directeur général, Olivier Saint-Cricq. Des propos confirmés par le personnel.
Alors que le risque d'une délocalisation en Chine était bien réel, finalement, les équipes françaises ont réussi à inverser la tendance, démontrer la qualité de leur travail de production et de recherche en France (à Saint-Ouen, 70% des salariés sont techniciens et cadres et 30% sont ouvriers). "Nous avons trouvé de nouvelles activités pour le site", dit le DG. Ce dernier dit apprécier "l'investissement de long terme" apporté par les fonds chinois, qui vont faire coter la PME à la bourse de Hong-Kong. Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, qui auparavant vendait les atouts de la France à l'international comme responsable de Business France, a apprécié : "Les investisseurs investissent parce que vous avez de la valeur". Et Edouard Philippe de renchérir : "Le respect et la confiance, cela ne s'écrit pas, cela ne découle pas d'un texte législatif et c'est pourtant un élément préalable indispensable pour le dialogue social".
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Mais quand le Premier ministre, faisant allusion au projet du gouvernement d'élargir le cadre de la négociation d'entreprise et de fusionner les instances représentatives du personnel, a demandé, après la visite des ateliers, à la direction comme aux représentants du personnel ce qu'il fallait améliorer au cadre actuel du dialogue social, il s'est attiré cette réponse du secrétaire du CE depuis 7 ans : "J'aurais plutôt envie de vous dire ce qu'il ne faut pas détériorer. Nous sommes en délégation unique du personnel (DUP) mais la DUP ne regroupe ici que les délégués du personnel et le comité d'entreprise. Rejoindre le cadre de la nouvelle DUP, en intégrant le CHSCT, dégraderait à nos yeux le travail des élus. J'ai été secrétaire du CHSCT pendant des années et cela réclame un investissement et des compétences précises sur la santé, la sécurité, les conditions de travail. S'il faut coupler ça avec une approche de la dimension économique, cela va demander beaucoup trop de travail aux élus", a estimé Maurice Fauchadour qui a souligné qu'un dialogue social de qualité passait par le respect mutuel mais aussi par une bonne connaissance, de part et d'autre, de la législation du travail (voir son interview vidéo ci-dessus).
"Nous évoquons avec les partenaires sociaux les modalités d'une instance unique qui comprendrait bien sûr une commission CHSCT. Cela signifie aussi mieux former les élus", a répondu la ministre du Travail, sans vraiment convaincre l'élu. Le secrétaire a en effet demandé à la ministre quel était son projet exact au sujet des IRP : réformer la DUP Rebsamen ou seulement élargir son application au-delà de 300 salariés ? Muriel Pénicaud n'a pas répondu avec précision, expliquant qu'il s'agissait de renforcer le dialogue social dans l'entreprise et pas seulement d'étendre le seuil pour l'instance unique.
Renforcer le dialogue social en laissant les acteurs fixer leur agenda social dans l'entreprise ? Cette liberté, à écouter la responsable des ressources humaines et les élus, paraît déjà suffisante : la DUP a accepté de reporter d'un an -c'est à dire à compter de 2017- la livraison d'une BDES (base de données économique et sociale) complète ainsi que l'application des trois grandes réunions d'information-consultation prévues par la loi Rebsamen, tandis que la responsable RH, Mélanie Morales, souhaite ouvrir d'ici la fin de l'année une négociation sur l'égalité femmes-hommes et traiter globalement la question de la qualité de vie au travail. "En intégrant la question du télétravail", a soufflé le délégué CFE-CGC. Le directeur de l'usine lui-même n'est pas preneur d'une fusion des instances. "Nous ne souhaitons pas passer en nouvelle DUP (*). Car nous perdrions la dynamique que nous avons réussi à créer avec les réunions mensuelles du CE et les réunions trimestrielles du CHSCT - voire plus si besoin. Pendant ces réunions, nous parlons beaucoup du travail avec les opérateurs, car nous sommes dans un univers industriel où la sécurité est très importante", nous a répondu Pascal Mareville, son directeur général étant au diapason (voir son interview vidéo ci-dessus). Il faudra que le Premier ministre et la ministre du Travail conduisent d'autres visites de terrain plus probantes pour démontrer l'utilité de fusionner les instances représentatives...
(*) Rappelons que le passage en nouvelle DUP (en deçà de 300 salariés) s'impose toutefois à l'entreprise au terme de deux cycles électoraux.
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